ARCHIVES Confinement 2020
Aujourd’hui, je ressors mon ordinateur, j’ouvre mes documents Word, et je profite de ce retour pour parler d’un sujet (à priori) léger et récréatif : les séries TV !
En écrivant ce nouvel article, j’ai le plaisir d’inaugurer la catégorie « le temps d’une série » sur le blog. Parce que oui, on va parler séries. Parce que les séries, c’est cool. Et même quand c’est pas cool : il y a des choses à dire dessus (accrochez-vous : c’est cette affirmation que je vais développer tout de suite, en plus ou moins 2300 caractères).
Je suis consciente que nos quelques lecteurs et lectrices (merci d’être là!) ne sont pas toutes et tous familiarisés à ce média particulier que sont les séries TV. Longtemps considérées comme « populaires », futiles, stéréotypées, voire abrutissantes, elles n’ont pas toujours été bien considérées (elles sont d’ailleurs toujours affublées d’un certain nombre de préjugés, mérités ou non).
Pourtant, les séries vivent actuellement leur âge d’or créatif. Il n’y a jamais eu autant de séries, et de plateformes les mettant à l’honneur. Elles sont même un objet d’études universitaires. Loin de moi l’idée d’affirmer que les bouses télévisées n’existent plus, que toutes les séries sont qualitatives et éducatives, ou qu’il est possible de philosopher sur n’importe quel show (quoi que)…
Mais il faut se rendre à l’évidence : depuis une vingtaine d’années, les séries ont fait l’objet d’un véritable renouveau. Elles abordent tous les univers, toutes les thématiques, et sont accessibles sur de multiples supports. Elles sont également de plus en plus ambitieuses et fouillées. Une bonne raison d’en parler sur ce blog !
Les séries, des histoires comme les autres
J’ai toujours adoré les histoires. Depuis que je suis enfant, j’aime les entendre, les lire, les regarder. Je les aime sous toutes leurs formes : écrites, dessinées, chantées, filmées. Je suis, dans ma vie de tous les jours, une lectrice et une spectatrice frénétique. Si je n’ai pas beaucoup de talent pour dessiner, réaliser, mettre en forme, j’adore « consommer ». Je me nourris littéralement d’histoire, je les dévore (ou au moins les picore quotidiennement, dans le métro, entre deux obligations, ou avant d’aller dormir). Chaque jour, j’englouti ma petite dose de récits et de chroniques, qui me permettent de sortir du quotidien et d’ouvrir mes perspectives.
Par conséquent, quand les séries télé sont devenues populaires, et qu’elles ont pris autant d’ampleur que le cinéma, j’ai directement accroché à ce format.
J’aime autant les séries télé que les films, je dirais même que parfois, il m’arrive de les préférer : elles permettent de faire durer le plaisir. Mettre le temps sur pause pour regarder une série, c’est un peu comme s’arrêter pour lire un livre : c’est toujours du temps volé. Suivre une série demande un certain investissement, et une certaine patience. Il faut appréhender les personnages, capter le rythme, s’adapter au ton, s’accrocher face à certaines irrégularités.
Ce format « long » propose une autre relation aux histoires, un peu comme le font les sagas littéraires ou cinématographiques. Nombreuses sont les séries m’ayant donné l’impression de grandir et d’évoluer avec les protagonistes. La structure en plusieurs épisodes (voire plusieurs saisons) permet de s’identifier aux personnages (ou de les trouver tantôt agaçants, tantôt attachants, tout en nuance).
Je suis consciente que cet attachement est « calculé » par les réalisateurs. Dans une série, tout est mis en place pour créer une sorte de « dépendance émotionnelle » envers les personnages et l’intrigue. Les mécanismes sont bien ficelés et sont pensés pour « hypnotiser » les spectateurs.
Cette dépendance peut certes avoir des effets nocifs : il est facile de perdre la notion du temps et de se plonger dans une série pendant plusieurs heures (ou jours ?), et de tomber des nues lorsqu’on arrive au dernier épisode. Je me suis moi-même laissée prendre au piège plusieurs fois : il m’est arrivé de littéralement « émerger » d’une série, me demandant dans quel siècle j’étais, quel était mon nom, encore « ivre » de nombreuses heures de binge-watching.
Pour autant, tant que cette « pratique » reste (relativement -ne soyons pas puristes !) occasionnelle, le sentiment d’être plongée dans un univers est une sensation particulièrement enivrante et agréable ! Quand j’étais enfant et ado, j’adorais me perdre dans des livres de centaines de pages. J’en rêvais la nuit, sentais mon cœur se briser à la fin d’une saga, ayant littéralement la sensation de vivre une rupture. C’était une souffrance exquise ! Les personnages ne me quittaient plus pendant plusieurs semaines, je les faisais revivre dans mes propres histoires (écrites ou pensées).
Aujourd’hui, je suis heureuse, en tant qu’adulte (parait-il), de retrouver ce ressenti en regardant des séries télé, même si mes passions sont plus limitées dans le temps et que mes bouffées d’enthousiasme et d’exaltation sont plus modérées. Les séries, en un sens, me reconnectent à l’ado hypersensible et lunaire que j’étais (et que je suis peut-être toujours un peu).
Les séries : un objet culturel ?
J’ai donc envie de parler de séries sur ce blog, parce que je les affectionne, mais également parce que je suis convaincue qu’elles font partie intégrante du paysage culturel (oui, j’ose le dire : les séries, c’est de la culture. Flagellez-moi).
Accessible à tous et toutes, sur tous nos écrans, les séries sont aujourd’hui omniprésentes. Elle sont d’abord une expérience intime (on les regarde depuis notre canapé). De plus en plus fréquemment, leur impact est tel qu’elles deviennent aussi des expériences collectives, au même titre que peut l’être le cinéma.
Longtemps méprisées, elles changent aujourd’hui notre rapport à la culture. Elles ont malgré tout encore du mal à se hisser aux côtés du 7ème art à se faire une place dans le noble paysage culturel : en France, un sondage du ministère de la culture réalisé en 2016 révèle que seuls 13% des Français considèrent que les séries télévisées peuvent être qualifiées de « culturelles ». Comment interpréter cela ?
Cette perception pourrait être expliquée par l’hétérogénéité du genre : il y a en effet, dans les séries, à boire et à manger. De Grey’s Ananomty à Glee, de Stranger Things à Game of Thrones, de Dexter à Sex and the City… Il y a du bon, du moins bon, du drôle, du dramatique, de l’éducatif, de l’action, de l’engagé… Chaque série a son propre public, ses propres messages et ses propres objectifs. Elles sont perçues différemment selon leur ton et leurs intentions. Black Mirror ou Breaking Bad n’ont probablement pas eu les mêmes retours critiques que Gossip Girl ou Riverdale. Ceci dit, n’est-ce pas également le cas au cinéma ou pour la littérature ?
Les résultats de cette enquête questionnent également notre rapport à la culture populaire, et à notre manière de « hiérarchiser » cette culture. Cette hiérachisation entre « haute culture » et « basse culture » est propre à nos civilisations industrielles modernes.
Même si cette hiérarchisation a la vie dure ces derniers temps (à cause d’internet, et de la multiplication des supports médiatiques), elle est encore fort présente dans nos imaginaires collectifs, qu’on le veuille ou non. Les classes dites « privilégiées » restent celles capables d’accéder à la « vraie culture », et d‘en comprendre le sens, tandis que les autres, ayant un accès (et un regard) limité, se contentent de la « culture de masse ». Cette distinction « raffiné / populaire » a de profondes racines historiques, et témoigne des rapports de force économiques et sociaux alimentant le système capitaliste.
Perçues comme des productions « américaines et américainisantes », vulgaires, populaires, associées à la télévision (« mass média » par excellence, adulé et puis méprisé, encore aujourd’hui), les séries ont longtemps été considérées comme un divertissement pour « le peuple », soumis aux enjeux de la finance, remplissant les grilles des programmes TV dans le but de « gaver » un public amorphe.
Leur « légitimation » est cependant en marche. Dans la revue NECTART, Marjolaine Boutet analyse le glissement qui se produit depuis plusieurs années :
Dans les années 2000, on commence à reconnaître aux séries une valeur « artistique » et des qualités propres. Un public exigeant et cinéphile commence à y prêter une véritable attention. C’est la fin de l’ère purement commerciale des séries, qui n’avaient pour but que d’être « grand public » : tout comme les films, les séries se dérivent en de nombreux genres et styles, et se dévoilent, pour certaines, comme subversives, esthétiques ou excentriques.
Aujourd’hui, ces « fictions audiovisuelles découpées en épisodes » alimentent des revues, des ouvrages, des colloques et des débats enflammés. Elles deviennent un véritable champ d’expression et d’innovation dans le monde entier. Elles sont des manifestations artistiques des sociétés qui les produisent, et leur évolution au fil des décennies en témoigne !
Pendant mon master en communication, j’ai d’ailleurs eu l’opportunité de suivre un cours de « Cultural Studies », dispensé par Mathieu de Wasseige et Barbara Dupont, tous deux chercheurs et spécialistes dans le décryptage des séries télé américaines.
Si j’étais déjà plus ou moins consciente de l’influence des séries sur la société et les médias, ce cours a titillé ma curiosité et m’a permis de « consommer » mes séries avec un autre œil. S’initier à cette discipline permet de regarder plus loin que juste en surface. Les Cultural Studies sont en effet un véritable courant de recherche (plutôt anglophone), à la croisée de l’anthropologie et de la sociologie culturelle, analysant les relations entre culture et pouvoir.
Les « études culturelles » contestent précisément la hiérarchisation de la culture : le mot culture est ici utilisé dans son sens anthropologique. La culture est le quotidien, elle se cache partout et influence notre vision du monde. Elle se cache dans les séries, mais aussi dans la musique pop, le rap, la publicité, le sport, la mode, la déco, les réseaux sociaux, la langue… Tout est potentiellement culture, et tout est une question de réception. Comment les gens reçoivent-ils les informations, les histoires, les contenus, les produits ? Qu’en font-ils ? Comment s’approprient-ils les contenus ? Quel est l’impact de ces « produits » et contenus, et de ce que les gens en font, sur la société ?
La portée politique des séries
Toujours pas convaincus que les séries TV font partie de la culture ? Bon, d’accord. J’imagine que cela dépend en effet de ce qu’on met derrière le mot « culture ». Cependant, personne ne pourra contredire cette affirmation : les séries ont une portée politique. Elles sont le reflet de la société. Elles ont un impact sur la manière dont on perçoit le monde. C’est en fait le cas de n’importe quelle production médiatique ou culturelle, quel que soit son public, ses moyens, son support, sa forme, son propos.
Comprenez-moi bien : quand je dis que les séries (et n’importe quelle autre production médiatique) sont politiques, j’utilise le sens politique au sens large. Par politique, j’entends : tous les mécanismes sociaux, économiques, relationnels, personnels, artistiques, médiatiques, qui font perdurer notre société telle qu’elle est construite aujourd’hui.
House of Cards ou The Crown ne sont donc pas les seules séries « politiques » : toutes les séries ont un impact et projettent une vision du monde, même si elles ne parlent pas de gouvernements, de suffrage, de royauté, d’élus.
Dès lors, même Fast and Furious, les Anges de la téléréalité ou Gossip Girl peuvent être analysés selon leurs valeurs, leurs impacts et la manière dont le public les reçoit. Ce qu’on appelle « la pop culture » fait partie de la société et participe à l’influencer.
L’importance des représentations dans le médias et cette vision « large » de la politique sont des idées qui se distillent petit à petit dans les milieux médiatiques.
De le cas des séries télé, nombreux sont les réalisateurs et réalisatrices à être conscients de l’impact sociétal qu’ont leurs œuvres. Dès lors, une attention plus soutenue est accordée à la représentation des minorités, et beaucoup de séries remettent en question les stéréotypes de genre. Les femmes ont également une place plus importante derrière la caméra, et leur point de vue offre une alternative au « male gaze » (le regard masculin hétérosexuel, selon lequel sont généralement orientés les cadrages et les choix de mise en scène, au cinéma comme à la TV) -du moins du côté anglo-saxon.
Bien entendu, tout n’est pas encore parfait, et on peut se poser la question de l’argument marketing de la représentation des minorités à l’écran (l’inclusivité est devenue, pour Netflix, quasiment un argument de vente, mais c’est un autre sujet qui mériterait d’être traité à lui seul). Cependant, il n’empêche que les séries disposent d’une liberté dont les gros films et les émissions TV « classiques » ne disposent pas toujours. Elles sont parfois extrêmement rafraichissantes, innovantes, contestataires ou encore instructives.
L’important, c’est le regard
Pour résumer : la « pop culture » peut être passionnante. Les séries TV peuvent être poignantes et vivifiantes. On peut tirer quelque chose de n’importe quel divertissement (aussi « populaire » qu’il puisse être qualifié). L’important, c’est la réception, l’appropriation, le regard, l’approche qu’on va avoir face à un média et à ce qu’il transmet. L’essentiel, c’est d’avoir une « consommation » critique et consciente. Dans cette optique, tout est « recevable ».
Attention : cela ne signifie pas que tout est qualitatif, intelligent, sensible, esthétique, et que toutes les séries (ou toutes les productions médiatiques) se valent. Cela signifie simplement qu’il n’y a rien de mal à se laisser aller à n’importe quel type de divertissement, pour autant qu’on soit capable de prendre du recul et de mettre les choses à leur « juste » place (la « juste place » peut être discutée, bien entendu).
En bref, parlons séries !
Les séries méritent qu’on les analyse, qu’on les dissèque, qu’on les partage !
Si vous n’êtes pas convaincus, je vous invite à prendre 1 mois d’abonnement sur Netflix (le premier mois d’essai est gratuit ! -non, ce n’est pas du placement de produit, nous ne voudrions pas influencer nos 2… ou 3 fidèles lecteurs !), et de tester, pour vous essayer au genre. Vous m’en direz des nouvelles. Si vous êtes déjà un adepte : je vous invite à partager vos coups de cœur avec moi, ici ou sur Instagram. Et à lire mes (futurs) articles (oui il y en aura, promis, j’arrête de procrastiner) sur le sujet.
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