Je ne vois que de la clarté quand je repense au passé, comme si la vie courait sous le jour d’une lumière vive, et que mes souvenirs n’avaient de racines que là. Dans le ruisseau aux libellules, nimbé de l’odeur du painde chez Moray, à Ferrières. Dans la clarté.
Le plus court chemin
“Ce livre est né d’une question: que se passe-t-il lorsqu’un auteur, qui a beaucoup écrit sur l’enfance, remonte le fil d’argent de sa propre enfance ?“
Antoine Wauters est un auteur belge. Il a reçu le prix Goncourt de la nouvelle pour son livre Le musée des contradictions ainsi que le et Prix du Livre Inter pour Mahmoud ou la Montée des eaux.
Lire prépare à faire face au bruit général. C’est une armure de sens. Je ne vais nulle part sans avoir lu.
Le plus court chemin est son dernier ouvrage, récompensé par le Prix Rossel. A mi-chemin entre le roman, l’essai, le journal intime et le recueil de poèmes, Wauters nous livre un témoignage très personnel, nous emmenant avec lui dans ses souvenirs d’enfance dans la campagne ardennaise belge ; écrin de verdure, de lenteur et de simplicité. Les réflexions de l’auteur se déversent sans fil rouge : ce qui tient le tout ensemble, c’est la douceur, la nostalgie, la poésie. Les petits riens de la vie quotidienne sont disséqués ; chaque page est un morceau de temps. L’écriture est belle et très sensorielle : on ressent tout. Les textures, les couleurs, les odeurs (des fruits, des fleurs, de l’été… et du purin). Pendant ma lecture, mes souvenirs se mêlent aux siens, il évoque son passé tout en sollicitant celui du lecteur/de la lectrice.
La nostalgie, c’est un applaudissement du passé. Dans une main, il y a des larmes. Dans l’autre, beaucoup de joie.
L’auteur étant né une dizaine d’années avant moi, j’ai aimé faire ce voyage temporel avec lui, me familiarisant avec les goûts et les habitudes d’une époque révolue, avant que « tout se mettre à trembler et à aller très vite », selon ses mots. J’y ai redécouvert des objets et jeux qui me sont familiers, d’autres qui avaient déjà disparu, et j’ai pu constater à quel point cette période-là semble loin, révolue, fondamentalement différente de la nôtre dans son rapport au temps, à l’espace, à la famille. Si je partage la nostalgie d’Antoine Wauters, et que je pense aussi qu’un certain nombre de choses étaient effectivement « mieux avant », je regrette cependant que le propos soit parfois un peu caricatural (le paradis perdu, l’enfer aujourd’hui).
Je regarde le mur, je respire la glycine et je comprends, à cette seule impossibilité de me détruire, que je suis tenu à moi comme un chien à une laisse, et que cette servitude s’appelle vivre. J’ai cessé d’être un enfant ce jour-là.
Ce roman est aussi une immersion dans le monde rural Wallon, son authenticité, sa quiétude, ses traditions, sa dureté aussi, sa précarité. Petit fils d’agriculteurs, Wauters dépeint un monde plus lent, replié sur lui-même. Il décrit aussi les tensions communautaires entre les flamands et les wallons, avec un style très « documentaire »
Ce livre est surtout une ode à l’écriture. Wauters parle du besoin presque vital d’écrire, ce que son métier lui offre (la possibilité d’exister autrement, de ressusciter ce qui n’est plus, de se distancer, d’écouter). La lecture, elle aussi, est un refuge, et l’écriture un outil qui le relie aux autres, tout en le tenant éloigné.
Ce texte, tout à fait décousu, assez inégal (certains passages sont percutants, d’autres plus ennuyeux), est un petit bonbon, parfois acide, parfois doux amer, parfois rugueux, qui gratte le palais et sent l’herbe fraichement coupée. Un bon retour aux sources, qui se lit vite et avec plaisir. Si vous cherchez un récit doux sur l’enfance et sur l’écriture, celui-ci est particulièrement touchant !
« L’écriture vient toujours après. Après la fracture. Après la faille. Quand vient le manque. »
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