L’été me semble déjà loin, en même temps qu’il me semble n’avoir jamais commencé. C’est avec l’odeur de la chaleur dans les narines et le son des cigales dans les oreilles que je décide de me replonger dans les lectures de mon été.
Aucune sélection pré-établie, comme d’habitude j’ai pioché au gré de mes envies dans mon immense pile à lire (elle n’a d’ailleurs jamais été aussi grande, c’est une véritable catastrophe mêlée à un intense plaisir rassurant héhé). Je commence avec mes lectures du mois de juillet, lues entre Bruxelles et le sud de la France, entre temps d’arrêt et préparatifs intenses de mon mariage qui a eu lieu fin de l’été. Entre classiques, nouvelles sorties, romans courts ou petites briques, il y en a eu pour tous les plaisirs :
- Lemon, de Kwon Yeo-Sun
- Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, de Eric-Emmanuel-Schmitt
- Rebecca, de Daphné Du Maurier
- Le festin, de Margaret Kennedy
- Pauvre folle, de Chloé Delaume
Lemon – Kwon Yeo-Sun
⭐⭐⭐
Da-eon est hantée par le meurtre de sa sœur quelques années plus tôt. Elle resasse, elle imagine, elle cherche la justice, elle tente de faire son deuil. Deux suspects demeurent et Da-eon veut trouver la vérité. En même temps, elle fait comme elle peut pour naviguer dans l’onde de choc du deuil.
Ce qui m’a marquée
- Les titres énigmatiques des chapitres accompagnés de leurs petits croquis qui ajoutent une touche poétique à une histoire plutôt annoncée comme “thriller” à suspens.
- La subtile description des mécanismes psychologiques d’un système familial qui tente de se remettre de la mort de l’un des leurs.
- La déception de n’avoir pas retrouvé le côté thriller auquel je m’attendais mais la surprise d’une réflexion existentielle disséminée à travers les personnages principaux autour de la vie et de la mort.
- La couverture de l’édition poche 10-18. Elle me hante, tout comme est hantée Da-eon.
Qui est Kwon Yeo-Sun ?
Autrice sud-coréenne née en 1965, elle débute sa carrière d’écrivaine dans les années 90. Elle a publié plusieurs recueil et romans dont “Une fente bleu azur” récompensé par le prix Sangsang ou encore “Croire en l’amour” récompensée en 2008 par le prix Yi-Sang, un des plus prestigieux en Corée du Sud. “Lemon” est sa première œuvre traduite en français et en anglais.
Monsieur Ibrahim et les fleur du Coran – Eric-Emmanuel Schmitt
⭐⭐⭐
Momo, un garçon juif de 14 ans et Monsieur Ibrahim, l’épicier arabe de le rue Bleue, deviennent amis. Avec l’allure d’un conte ou d’un court roman initiatique et philosophique, la relation entre Momo et Monsieur Ibrahim se construit au fil des pages. Ils nous emmènent au-delà des apparences, là où tout lien se solidifie, entre les failles et au quotidien.
Ce qui m’a marquée
- La profondeur des personnages cachée derrière une écriture sans fioriture et un récit d’apparence simple et didactique.
- Le personnage de Monsieur Ibrahim, ses réflexions mystérieuses parfois doublées d’humour.
- Le pouvoir du sourire.
- L’importance de dépasser ses préjugés. Au-delà du récit en lui-même, je n’avais volontairement pas lu cet auteur jusqu’à présent. Quand on parle trop de quelqu’un, en général ça me refroidit et ça éteint ma curiosité. Je me méfie de ce qui attire les foules. (Prétention ? Prudence ? La question reste ouverte). J’ai néanmoins été agréablement surprise et il n’est pas impossible que je retente l’expérience avec un autre de ses ouvrages.
Qui est Eric-Emmanuel Schmitt ?
Bon, je ne suis pas certaine que cet auteur nécessite une présentation étant donné sa notoriété mais voici tout de même quelques informations parcellaires. Né en 1960, d’origine française mais naturalisé Belge en 2008, il est l’auteur de nombreux romans, essais ou encore pièces de théâtre. Parmi ceux-ci notamment le très connu “Oscar et la dame rose” faisant partie du Cycle de l’invisible au même titre que “Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran”. Plus récemment, il s’est attelé à la tâche de raconter l’histoire de l’humanité dans le cycle de La traversée des temps. Quatre tomes sont à ce jour publiés.
Eric-Emmanuel Schmitt est engagé spirituellement. Dans une série de livres autobiographiques “Le défi de Jérusalem” ou “La nuit de feu”, il raconte son expérience d’une extase mystique et de sa conversion.
Rebecca – Daphné du Maurier
⭐⭐⭐⭐⭐❤️
De Monte-Carlo au somptueux manoir de Manderley. Un an après la mort de Rebecca, Max De Winter ramène une nouvelle et (un peu trop) jeune épouse dans sa demeure. La mort tragique de Rebecca ainsi que la femme elle-même hante encore le manoir et tous ses habitants. Comment se faire sa place avec cette ombre qui rôde ?
Ce qui m’a marquée
- C’est un page-turner ! En tout cas, en ce qui me concerne, j’ai eu du mal à le lâcher. Et c’était une véritable surprise, je m’attendais à un côté un peu vieillot et un texte lourd, que du contraire. L’écriture est fluide et subtile. Les personnages sont vivaces. C’est ma plus belle surprise de l’été et vous l’aurez compris, un coup de coeur.
- J’ai eu peur du côté “fantôme” et fantastique duquel je ne suis pas très friande. Agréablement surprise ici aussi, le mystérieux est justement dosé. Elle reste à la frontière du côté mystique, elle intrigue, nous fait douter, mais maintient l’équilibre avec nos certitudes.
- Sa façon de décrire l’héroïne qui tombe dans le sommeil et ses rêves. Elle nous fait ressentir avec talent cet interstice, cette frontière, entre la matérialité de la réalité et l’inconscience du sommeil. Cet espace de flottement agité ou bienheureux intrinsèquement insaisissable.
Qui est Daphné Du Maurier ?
Daphné du Maurier est une romancière, nouvelliste et dramaturge britannique née en 1907 et décédée en 1989. Rebecca est considéré comme son chef d’oeuvre. Il a été adapté une première fois au cinéma par Alfred Hitchcock en 1940. Il a été adapté une nouvelle fois en 2020 par Ben Weathley sur Netflix.
Pour aller plus loin
- Interview (en anglais) de Daphné Du Maurier (Archive BBC de 1971)
- Podcast France Culture sur la vie et l’œuvre de Daphné du Maurier (1ère diffusion en 1996)
Le festin – Margaret Kennedy
⭐⭐⭐⭐
Une pension de famille en Cornouailles au bord d’une crique, 1947. Une fissure s’élargit petit à petit dans la falaise surplombant la pension. Pendant ce temps, des vacanciers profitent de leur temps de repos. Secrets, disputes, amours et amitiés se tissent entre des pensionnaires pour le moins hétéroclites et la famille tenancière de la pension. Une écrivaine aimant pervertir les plus jeunes, un pasteur colérique et sa fille effacée et soumise, une mère de famille froide et mystérieuse ou encore une fratrie d’enfants rebelles. Et les enfants souhaitent réunir tout ce beau monde sur la falaise pour un véritable festin !
Ce qui m’a marquée
- Les courts chapitres qui soutiennent le rythme du récit et donnent envie d’en lire toujours plus. Cette découpe empêche toute impression de longueur.
- La couverture des éditions de la Table ronde (collection quai voltaire) ! Quelle beauté. (Et je note qu’il s’agit majoritairement des mêmes couleurs que sur la couverture de “Lemon“. J’en parle justement plus haut.) Néanmoins rien qui me hante ici, je pense plutôt à la joie et au réconfort que suscite en moi cette association de couleurs.
- Comparativement à “Rebecca”, j’avais peur que le récit aie mal vieilli ou que la lecture en soit ardue. Quelle erreur ! La plume de Margaret Kennedy est acerbe, comique et pointue. C’est un réel plaisir de la lire.
Qui est Margaret Kennedy ?
Margaret Kennedy est une autrice, romancière et scénariste, britannique née en 1896 et décédée en 1967. Elle a acquis sa notoriété avec ses publications des années 30 et plus particulièrement avec “La nymphe au cœur fidèle”. Celui-ci a été adapté au théâtre et au cinéma.
Les éditions de la table ronde ont continué de rééditer l’œuvre de l’autrice notamment avec “Divorce à l’anglaise” et “Les oracles“.
Pour aller plus loin
- Podcast (an anglais) “Backlisted” qui redonne vie à d’anciens livres. Episode 113 “The Constant Nymph” de Margaret Kennedy. (Egalement disponible sur Spotify et sur Apple podcast).
Pauvre folle – Chloé Delaume
⭐⭐⭐⭐
“Dans toutes les histoires d’amour se rejouent les blessures de l’enfance: on guérit ou on creuse les plaies”. Dans “Pauvre folle”, on suit Clotilde Mélisse qui décortique le lien qui l’unit à Guillaume au gré des cahotement du train dans lequel elle se trouve. Elle revisite leur rencontre, leur idylle, l’explosion de leur lien. Cela la ramène jusqu’à son enfance et lui fait ressortir de nombreux souvenirs, le féminicide parental ou encore le diagnostic de bipolarité. Avec Guillaume c’est un amour impossible et complètement addictif. C’est une aventure de tenter de saisir elleetlui.
Ce qui m’a marquée
- La magnifique plume de Chloé Delaume. J’étais déjà convaincue. Je le suis toujours autant, voire même encore davantage si c’est possible. Elle écrit avec une telle intelligence, une telle originalité. Sans concessions et de façon vivante. Son écriture est expérimentale et pourtant lisible. J’ai vu, j’ai compris et ressenti comment Clotilde se vivait, elle, son corps, son intériorité, ses émotions.
“Clotilde est incapable de gérer le chagrin qui remonte rampe, cavale soudainement empoignant le nombril, crevant le plexus solaire, serrant sa gorge d’un large lasso.”
- La richesse de lire l’expérience vécue de la psychose. Il est impossible de voir le monde de cette façon à moins d’y être. C’est passionnant. Combiné à la plume de l’autrice, c’est explosif. Il faut lire des écrits comme celui-ci.
“Dans les situations de crise, Clotilde trouvait drôlement pratique de ne pas être juste névrosée. Etre éclatée en plein de bouts de Moi, ça avait un grand avantage: sans avoir à prendre conseil auprès d’un autrui qui ne pouvait complètement se mettre à sa place, elle accédait à pleins d’avis, de points de vue, d’analyses, de propositions, de solutions. Les grilles de lecture différaient selon quelle partie d’elle était sollicitée.”
- A plusieurs reprises au cours de ma lecture, je me suis arrêtée en souriant. Estomaquée de la pertinence pure et tranchante de certaines phrases. Je pensais “mais c’est pas possible elle est quand même incroyable”. Ce n’est pas un coup de cœur car je n’ai pas été passionnée du début à la fin. Mais ces petits moments de surprise, d’arrêt, de choc, sont ce que je cherche dans les livres, surtout.
“Clotilde déteste voir des enfants, ça l’accule à admettre que son père a gagné, à jamais bousillée, le trauma comme une plante qui pousse irréductible, aquatique et aqueuse, ses tiges flottantes véloces s’étalant monstrueuses, engluant la surface.”
Qui est est Chloé Delaume ?
Chloé Delaume est le nom de plume de Nathalie Dalain, écrivaine française née en 1973. Elle consacre principalement à la pratique de la littérature expérimentale et de l’autoficiton. C’est une autrice prolifique qui a acquis davantage de notoriété avec la publication de son roman “Le cœur synthétique” pour lequel elle a obtenu le Prix Médicis en 2020. Elle est également connue pour son engagement féministe et le direction de l’ouvrage collectif “Mes bien chères soeurs”.
La littérature expérimentale étant difficilement accessible, elle était plutôt restée jusque-là une autrice “de niche”. Elle en parle plus longuement dans le podcast Bookmakers de ArteRadio. Elle y évoque notamment sa collègue Lola Lafon qui a très tôt réussi le pari de faire de la littérature expérimentale lue du grand public.
Pour aller plus loin
- Bookmakers, les écrivains au travail : Chloé Delaume (3 épisodes). Aussi disponible sur Spotify et Apple Podcasts.
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