Après la petite faille temporelle de ce début 2024, je me suis dit qu’il était temps de vous parler de ma lecture favorite de l’année 2023. Je suis partisane de penser qu’il vaut mieux tard que jamais. Peu importe le temps qui a passé depuis ma lecture, ce roman mérite son article.
L’octopus et moi est le premier roman d’Erin Hortle. Elle vit en Tasmanie et est professeure d’université. Passionnée par l’océan et la question écologique, elle s’intéresse aux liens entre les humain.e.s et le reste du vivant.
Il s’agit également de la première publication de la maison d’édition Dalva qui met à l’honneur des autrices contemporaines. Leur site internet indique « À travers leurs textes, elles nous disent leur vie de femme, leur relation à la nature ou à notre société. Elles écrivent pour changer le monde, pour le comprendre, pour nous faire rêver. »
Avant qu’il atteigne la plus haute place de mon classement 2023, j’avais sorti une première fois « L’octopus et moi » de ma bibliothèque. Je l’y avais reposé après avoir lu les quelques premières pages. Comme quoi, vraiment, parfois ce n’est juste pas le bon moment. Il a fallu un moment particulier de ma vie. Il a fallu que je sois à la recherche d’un récit d’égarement puis de réconciliation et de reconnexion avec son corps. Une histoire qui parle à travers l’observation des autres, de soi, de la nature. Une histoire qui fait la place aux sens, au corps, à l’expérimentation et au partage avec d’autres espèces.
Quatrième de couverture
« C’est l’histoire d’une pieuvre qui cherche à rejoindre l’Océan Pacifique pour y pondre ses œufs. Mais pour y parvenir, elle doit traverser un bras de terre, quitter son élément, croiser une route. C’est l’histoire d’une femme qui a vécu de terribles épreuves et ne sait plus très bien qui elle est ni ce qui a de l’importance à ses yeux. Une nuit, leurs chemins se croisent et pour la femme, tout bascule. Au cœur des paysages rudes et magiques de Tasmanie, s’écrit alors un récit de reconquête et de rencontres, de choix et d’idéaux. »
L’avis de Jeanne
Le Sydney Herald tribune a parlé d’une entrée en littérature unique et inclassable. La plongée dans les premières pages est en effet tellement unique qu’elle est en perturbante. Probablement rattrapée par mon anthropocentrisme, j’ai d’abord eu du mal à rentrer dans ces premières lignes écrites du point de vue d’une octopus. C’est cela qui m’a fait abandonner le récit dans un premier temps. Si vous vous retrouvez dans la même situation, persévérez ! Je vous promets que la suite en vaut la peine.
« Je la touche-vois-goûte elle est femelle comme moi j’enroule mon tentacule autour de son bras et sa peau est chaude différente de la mienne. Je sens à son goût qu’elle est curieuse effrayée triste énervée sa peau me le dit même si sa peau est stupide elle me le dit. »
L’octopus et moi – Erin Hortle
Déstabilisant d’abord, ce point de vue devient extrêmement pertinent par la suite. J’ai craint que la majorité du livre ne soit écrit depuis cette perspective ce qui n’est pas le cas. Et j’ai même fini par attendre avec impatience les mots écrits et prêtés à cette femelle octopus. La déstabilisation c’est ce qui permet le changement, c’est ce qui met en mouvement. C’est cela que j’ai ressenti à travers cette plongée dans les fonds marins et à travers la nature de Tasmanie. Erin Hortle la propose avec complexité, sensibilité et subtilité.
« – Jem, tout ça n’a rien à voir avec toi. […] – C’est de moi que je te parle. C’est moi qui ne supporte pas ces seins, moi qui détestais ces cicatrices. C’est parce que les pieuvres voulaient dire quelque chose pour moi : quelque chose qui parle de sacrifice féminin, de persévérance, de la futilité de tout ça, quelque chose qui dit que nos corps peuvent rater, ou peuvent être forcés de rater, et que pourtant on continue comme on peut… »
L’octopus et moi – Erin Hortle
Le deuxième élément qui m’a accroché à l’œuvre d’Erin Hortle est sa description de l’expérience d’un corps féminin à travers Lucy, deuxième personnage principal. Je me souviens du soulagement éprouvé de voir écrit sur papier des mots traduisant une expérience que je ne parvenais à exprimer. Du soulagement donc, mais aussi de l’admiration pour l’autrice qui avait trouvé les mots. Et la certitude que désormais je n’étais plus seule. Que quelque chose de cette expérience d’un corps féminin se partageait. Et ce, malgré la dimension éminemment singulière de l’expérience et de la vivance d’un corps.
Bien entendu ce qui fait que ce roman est une réussite et qui le rend extrêmement touchant c’est l’exploration des interconnexions entre l’espèce animale et l’espèce humaine. Les différences s’effacent pour ne laisser la place qu’à ce qui nous rapproche et fait lien. J’ai facilement et rapidement pu m’identifier à Lucy par son expérience du corps féminin. Et voilà que j’ai fini par pouvoir m’identifier à une femelle octopus. Ecrite d’un point de vue humain, bien sûr, mais tout de même, quel tour de maître ! C’est donc aussi une histoire de sororité qui ne connait pas de frontière.
Pour aller plus loin
- Une interview (en anglais) d’Erin Hortle au sujet de son roman dans lequel l’hôte du podcast Tamar Valley Writers Festival, Annie Warburton, explore les thématiques principales de l’œuvre : féminité, maternité, amour et mort.
- Un épisode du Rendez-vous littéraire sur RCF Radio consacré à L’octopus et moi. (Créer un compte peut être nécessaire ici pour l’écouter).
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