© Photo : Théâtre le Public« Mesdames, regardez la personne assise à votre gauche, regardez la personne assise à votre droite : c’est l’une d’entre nous »
A voir absolument si vous avez une soirée de libre dans les prochains jours : Prima facie au Théâtre le Public. Une pièce coup de poing, organisée dans le cadre du Focus Les Bienveileuses.
La pièce Prima facie, de la dramaturge australo-britannique Suzie Miller (elle-même ancienne pénaliste), a gagné de nombreuses récompenses et a rencontré un succès retentissant au Royaume-Uni.
Incarnée par la magistrale Mathilde Rault, Tessa, avocate pénaliste brillante et reconnue, défend des agresseurs sexuels, en les faisant la plupart du temps acquitter. Transfuge de classe, elle se délecte de son succès, de son ascension, des portes qui s’ouvrent à force de persévérance. Intransigeante et rigoureuse, tous les coups sont permis, tant que les ficelles du droit ne se rompent pas.
Et puis tout bascule lors d’une nuit avec son collègue. Violée, Tessa devient victime, la scène se retourne, les projecteurs bifurquent, le temps s’allonge (plus de 2 ans s’écoulent petit à petit, au fil des procédures), elle se retrouve sur le banc (qui ressemble fortement au banc des accusés).
Tessa connaît toutes les ficelles, elle sait quand et comment elles se retourneront contre elle, elle va jusqu’au bout, chancelante mais pleine d’espoir, gardant la foi en ce système auquel elle a consacré toute sa vie, toute sa carrière, tous ses espoirs. Ses certitudes vacillent, les dysfonctionnements et les vices de la machine judiciaire et juridique lui explosent au visage.
Notre avis
Prima facie est une pièce coup de poing. La mise en scène est épurée, mais efficace et dynamique, le public est tenu en haleine pendant 1h20.
Le texte est puissant et incarné brillamment par Mathilde Rault, seule sur scène, dont les émotions transpercent et éclatent. Elle investit pleinement son rôle, sans retenue mais toujours avec justesse. Nous avons été très émues par son interprétation.
Du procès à la chambre à coucher, le parcours de la victime est décortiqué de manière très subtile. La scène du viol, extrêmement dure, est particulièrement bien jouée, avec pudeur, tout en ne laissant aucun doute sur ce qu’une telle agression implique : choc, sidération, dissociation, doutes, culpabilité, peur… Le parcours du combattant (de la combattante) de Tessa est expliqué de manière très didactique, du trauma à la réparation (qui n’arrivera pas).
Les mécanismes psychologiques, juridiques, judiciaires, qui entourent un tel évènement sont mis à nus. Tessa voit sa parole décortiquée et remise en doute. La Cour, la police, tous semblent ignorer les effets d’une telle agression sur le cerveau et sur les capacités à se souvenir. Chaque imprécision est qualifiée de mensonge, chaque hésitation interprétée comme de la mauvaise foi. La pièce pointe du doigt un système judiciaire construit par les hommes, dans lequel les agresseurs sont présumés innocents et les victimes présumées menteuses. Le déséquilibre est criant.
On ressort de cette pièce lessivées, choquées, et sensibilisées certes, mais désespérées devant l’ampleur du chemin qu’il reste encore à accomplir. Les constats sont là, il est important que le grand public en prenne conscience (cette pièce est donc d’utilité publique !). Mais malgré des évolutions (réforme qui aborde la notion de consentement en Belgique, création de centres de prise en charge des violences sexuelles…), il reste encore une montagne à gravir… et qui ne se gravira pas sans un réel engagement politique.
Pour aller plus loin :
- Violences sexuelles : peut-on rendre justice autrement ? Axelle magazine
- Le podcast d’investigation Désanchantées sur l’affaire #Balancetonbar, réalisé par Andrey Vanbrabant et Marine Guiet
- Le film “Quitter la nuit” (2023) réalisé par Delphine Girard
- Rapport d’Amnesty : le viol en Belgique
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