2024 est riche en essais ! Voici rassemblés dans cet article 5 ouvrages qui, d’une manière ou d’une autre, abordent la question du choix et du vécu de la (non)parentalité :
- Toucher la terre ferme, Julia Kerninon
- Vieille fille, de Marie Kock
- Un si gros ventre, de Camille Froideveaux Metterie
- Avortée, de Pauline Harmange
- Le temps du choix, de Bettina Zourli
Les récits de vie sont ceux que je préfère. J’adore m’incruster dans l’esprit des gens, dans leurs réflexions, leurs doutes, leur tourbillon de pensée (peut-être car cela fait taire – ou éclaire – les miennes?). Les essais sur le vécu des femmes m’intéressent tout particulièrement, pour les portes qu’ils ouvrent, leur honnêteté, leur façon de parler d’une personne, et de plusieurs à la fois. J’ai particulièrement aimé lire ces récits car ils sont à la fois extrêmement fois intimes, tout en étant complètement universels. Ils parlent de l’une de nous, et de nous toutes. Ils sont des reflets de ce que je pourrais vivre, et de ce que des femmes qui m’entourent ont vécu, vivent ou vivront.
Ces récits et ces témoignages sont puissants, car ils sont intimes. Néanmoins, l’erreur serait de les cantonner à ce caractère intime : ils sont bien plus que ça. En réalité, ces réflexions nous concernent tous.te.s, intimement et collectivement. Ils en disent beaucoup sur la manière donc nous grandissons, nous éduquons, nous nous entraidons, dont nous nous organisons, en tant que société, ensemble.
La question de la (non)maternité, et de la (non)parentalité est souvent considérée (au mieux) comme une question purement personnelle ou (au pire) comme un “problème de bonne femme”. Le caractère collectif de la (non)parentalité n’est généralement pas considéré (ni même conscientisé). Pourtant, nous avons tous été des enfants, élevés par des adultes. Nous travaillons, nous nous divertissons, partageons l’espace et le temps avec des parents (et des enfants, qui seront les adultes de demain).
Dès lors, j’en profite pour parler de ces livres, dans un même article, car il me semble important de mettre l’accent sur la continuité entre les différents parcours ; de mettre l’accent sur l’ambiguïté, l’hésitation et la complémentarité qui se tisse entre le choix des uns et des autres. Si le mur de pierre entre parents et non-parents (choisis ou non) tombait, tous.te.s (mères, pères, parents, chilfree, childless, et enfants) se sentiraient moins seul.e.s, mieux compris, mieux soutenus (dans leurs choix et leur quotidien). Il n’y aurait peut-être plus de fatalité (ce y compris en cas d’infertilité).
Qu’ils parlent de maternité ou de non-maternité (choisie ou non), ces essais, finalement, se répondent, car les vies des parents et des non-parents se croisent, s’entrechoquent, cohabitent ensemble, dans l’enfance et après l’enfance, dans un même système qui ne favorise actuellement ni l’épanouissement, ni le libre choix, ni des uns, ni des autres.
Toucher la terre ferme, de Julia Kerninon
« Sur le parking de la maternité, cette nuit de novembre, j’ai compris la force de la réalité qui venait avec le fait d’endosser ce rôle, la vie quotidienne, la vie domestique, la platitude. J’ai compris le lien de vie et de mort que j’avais noué avec l’enfant et son père. J’ai compris qu’il n’y aurait pas de retour, seulement des échappées. Que pour la première fois j’avais pris une décision. Debout dans le noir, sous les étoiles, j’ai pensé que je pourrais faire face à ça. J’étais perdue, mais pas dépourvue. »
Dans ce court essai, Julia Kerninon, autrice du roman à succès « Liv Maria », raconte sa sortie de la maternité, et cette impression fulgurante d’une renaissance comme d’un piège qui se referme. Submergée par les doutes, la nostalgie, les contraintes, elle nous raconte son retour vers la terre ferme, où le passé et le présent cohabitent enfin paisiblement.
La langue de Julia Kerninon est magnifique, les mots renversent, d’une poésie et d’une franchise déconcertante. J’ai eu l’impression de surfer, au gré des vagues, sur les différents moments de sa vie, tantôt légers, tantôt plus lourds. Ce livre est une déclaration d’amour à la liberté : la liberté comme une ivresse, faite de lectures, d’écriture, de rencontres, d’amants, de passions douloureuses, de hall d’aéroports, de nuits blanches et de matinées paresseuses. En lisant, on ressent l’impatience de vivre. Les souvenirs du passé s’entrechoquent avec son récit de maternité, dur, brut, et à la fois touchant et inspirant. Comment faire coexister ce qu’on est avec la figure quasi sacrificielle de la mère ? Devient-on autre ? Où va celle qu’on était ? Comment faire coexister les pièces du puzzle, sans en oublier ?
« Il n’y a pas de mots pour dire combien j’ai changé, mais il n’y en a pas non plus pour décrire la solidité de l’ancienne moi cachée dans la nouvelle, dure comme un noyau de pêche »
Sans aucun filtre, Kerninon nous emporte dans les méandres de ses questionnements, dans ses frustrations, ses peurs, ses certitudes, ses découvertes, toujours en compagnie de ses auteurs et livres préférés. Malgré ce que laisse présager la 4ème de couverture, elle ne s’attarde que très peu sur son quotidien en tant que mère… Plus qu’un livre sur la maternité, il s’agit plutôt d’une déclaration d’amour à son compagnon, à ses enfants, et d’une quête d’identités (comment se retrouver et cohabiter, en tant que personne(s), en tant qu’artiste, en tant qu’ami.e, en tant que couple, en tant que famille, après la naissance des enfants ?).
C’est beau, c’est honnête, ça sent le sexe, la rage, la douceur et l’amour. C’est mélancolique, très égocentrique, parfois un peu fleur bleue, un brin agaçant… Et en même temps, ce petit récit donne envie d’y croire. On y retrouve cette fièvre et cette pulsion de vie qui mène (probablement) à faire des enfants, pour continuer à partager, à exister, pour multiplier l’amour et les liens.
« Pour eux, j’ai accepté la monogamie, le travail diurne, la patience, l’impatience. J’ai accepté d’être touchée, bousculée, mordue, interrompue, plus jamais seule même dans mon bain. J’ai accepté de vivre avec ce danger – qu’on leur fasse le moindre mal et que ma vie soit terminée. »
Vieille fille, une proposition, de Marie Kock
“and when nobody wakes you up in the morning, and when nobody waits for you at night, and when you can do whatever you want. what do you call it, freedom or loneliness?”
Charles Bukowski
Alors que je me lance dans la proposition de Marie Kock, c’est directement cette citation de Bukowski qui me vient à l’esprit. En ouvrant ce livre, j’espère trouver une réponse à cette question.
On la dit laide, revêche, frigide, avare, aigrie, ennuyeuse, on l’imagine avec ses chats, dépérissant seule et malheureuse… La vieille fille. Une expression communément utilisée pour désigner les femmes qui se construisent en dehors de tout schéma conjugal et familial « classique », qui ne rentrent pas dans les cases.
Marie Kock est journaliste. Quarantenaire, elle n’a pas d’enfant et pas de conjoint. Une situation que certains qualifieraient de triste, mais qui ne l’est pas tant que ça, comme elle le démontrera dans ces quelques 200 pages. Entre l’essai et le témoignage très personnel, l’autrice analyse l’archétype de la vieille fille, souvent agité comme un épouvantail devant celles qui ne sortent du cadre. En puisant dans l’histoire, la pop culture, la littérature, elle dresse le portrait de celles qui ont décidé de s’extraire de la vie maritale, tout en analysant la manière dont ces portraits impactent notre imaginaire collectif.
Et si la « solitude » n’était pas le pire des destins ? Et si la famille et le couple n’étaient pas les seuls remparts contre la solitude et la vieillesse ? S’il y en avait d’autres (l’amitié, la communauté…) ? Et si les vieilles filles dérangeaient par leur autonomie, ayant l’audace se retirer du marché de la séduction ? Et si, en s’extrayant du tourbillon productiviste en « n’accouchant de rien », les vieilles filles perturbaient la marche du capitalisme ?
La deuxième partie du livre est plus personnelle : Marie Kock raconte plusieurs épisodes de vie qui l’ont menée là où elle est aujourd’hui, dont un deuil particulièrement douloureux. Cette partie m’a d’abord déstabilisée : après avoir restauré l’image de la vieille fille, et avoir évoqué ce mode de vie comme un choix valide, j’ai eu l’impression qu’elle faisait machine arrière, en tentant de se justifier.
D’abord dérangée, j’ai reposé le livre, et puis après l’avoir terminé et digéré, je me suis dit qu’en fait : son vécu n’invalide en rien son propos. De circonstances en circonstances, l’autrice en est arrivée à un point dans sa vie. C’est un chemin. Parmi d’autres chemins. Tout aussi valide. Qui aurait pu être autre, certes, mais qui suite à différents évènements, a pris cette forme. Elle a choisi d’emprunter certaines bifurcations, s’est retrouvée face au mur… Le hasard a tissé sa toile, ne pas choisir est aussi un choix, et voir ses plans changer, ses espoirs se fâner, ne rend pas une existence moins légitime, ni moins importante, ni moins intéressante, et la personne qui vit cette vie n’a pas pour autant moins de valeur.
« Que faire de soi quand on ne s’occupe pas d’un autre ? Quand notre fonctionnement quotidien n’est pas rythmé par la logistique, les calendriers, les besoins et les privilèges considérés comme naturels de la ou des personnes avec qui on partage son appartement ? On commence par se prendre une grande claque. À douter de sa propre existence, en l’absence de la validation par un regard extérieur qui atteste de votre présence et de votre utilité. À faire l’expérience de la fragilité et de l’absurdité d’une vie humaine. »
On peut regretter le caractère trop personnel du livre, qui édulcore quelque peu sa « radicalité »… Mais qui rend néanmoins le propos très humain, très accessible, jamais misérabiliste. Elle est honnête concernant ses difficultés ; la solitude et l’indépendance ne sont pas romantisées à outrance. Mais toujours : la lumière côtoie les doutes. L’accent est mis sur toutes les rencontres et expériences que permettent une vie, avec enfant ou sans. J’ai apprécié la partie où Marie parle des relations qu’on peut entretenir avec des enfants qui ne sont pas les siens, qui ne vous doivent rien, et du lien que partage un adulte « childfree » ou « childless » avec sa famille d’origine (en restant avant tout l’enfant de ses parents).
A la question de Bukowski : solitude ou liberté ? Marie Kock répondrait probablement : les deux. Avec leur lot d’avantages et d’inconvénients, dans les deux cas (en tout cas, il s’agit de mon interprétation, en finissant cette lecture).
Le livre une s’ouvre sur une (presque) noyade, l’autrice étant prise au piège dans les vagues lors d’une baignade (que restera-t-il d’elle si elle coule?)… il se termine quand elle touche la terre ferme. Ayant lu ce livre après celui de Julia Kerninon (Toucher la terre ferme, justement), je trouve la continuité entre ces livres assez frappante, les deux récits étant, à mon sens, complémentaires.
« C’est à ça que je tends. À être moi-même un terrain vague. Un endroit en friche, où il aurait pu se construire des choses et où il ne s’est rien construit. Un royaume sans roi où peuvent coexister les fleurs et le chiendent. Une terre fertile où l’amour ne se cultive pas mais pousse quand même, à des endroits inattendus, se fane et meurt, germe là où on ne l’attend pas. »
Pour aller plus loin :
- L’épisode du podcast “Va vers ton risque” sur Marie Kock
Un si gros ventre, expériences vécues du corps enceint, de Camille Froidevaux Metterie
« La maternité est une expérience profondément individuelle et très difficilement comparable. J’irais jusqu’à supposer qu’une partie de son caractère unique tient justement au fait que c’est une expérience corporelle intense. Les femmes vivent leur maternité différemment parce qu’elles l’accueillent chacune dans un corps différent. »
Camille Froideveaux-Metterie poursuit les questionnements amenés dans son passionnant essai « Un corps à soi » en se focalisant cette fois sur une période spécifique de la vie des femmes : la grossesse. Impensé des sciences sociales, considéré comme une expérience purement « naturelle », le moment de la grossesse est pourtant une expérience à la fois individuelle et politique, à la fois synonyme de puissance, de réappropriation du corps comme d’aliénation.
En interrogeant une trentaine de femmes enceintes et en mettant en exergue leurs ressentis face à cette expérience, Froideveaux Metterie leur donne leur place de sujet. L’autrice elle-même se livre, faisant le récit de ses grossesse si désirées et de son accouchement traumatisant.
Moins philosophique que son précédent essai, ce livre donne une place importante au témoignage, mettant en avant toutes les facettes de la grossesse, et la manière dont celle-ci modifie la façon dont les corps des femmes sont perçus et objectifiés. Le propos est extrêmement nuancé : non, la grossesse n’est pas que « aliénation » (comme le disait Simone de Beauvoir), elle est également source de bonheur, de réappropriation du corps féminin, d’émancipation, de création, de puissance. Elle n’est pas non plus « qu’un pur bonheur » (ce mythe n’ayant pour but que de faire taire les femmes qui sont confrontées à des souffrances réelles : peurs, angoisses, douleurs, problèmes de santé, infantilisation, culpabilisation, violences obstétricales…).
J’ai eu peur que le prisme négatif de la grossesse prenne trop de place dans le livre, mais cette crainte était infondée : Camille Froideveaux Metterie illustre parfaitement toute la complexité et les multiples facettes de cette expérience, qui s’avère être un moment pivot (parmi d’autres) dans la vie des femmes qui le vivent, modifiant fondamentalement leur ressenti de leur corporéité (comme la puberté ou la ménopause).
En bref : “Un si gros ventre” est un livre à offrir à vos amies enceintes, ou à lire si vous souhaitez plonger dans la multiplicité des ressentis des personnes enceintes… Car après tout, les femmes enceintes : on commente leur poids, on les protège comme de petites choses fragiles et sacrées, on touche leur ventre (sans leur accord, dans le pire des scénarios), on les vénère, mais rarement on leur demande ce que la grossesse implique pour elle, en profondeur.
Mon seul regret concernant ce livre est la taille, et l’impression que certains sujets sont “balayés” : on pourrait facilement tripler le nombre de pages. Les questions du désir d’enfant et des projections liées à ce désir (de la mère, du couple) sont peu abordées, alors qu’il me semble qu’elles peuvent influencer énormément le vécu de la grossesse. On se concentre peu sur l’avant et l’après grossesse (ce qui est probablement voulu, l’objectif étant de se concentrer sur cet évènement spécifiquement). Or il me semble que cet avant et cet après sont difficilement dissociables du “pendant”. Une bonne lecture, que je conseille de compléter par les autres livres de l’autrice (Seins, Un corps à soi).
“Après des siècles d’assignation à une condition maternelle synonyme d’infériorité et de passivité, nous pouvons sans doute commencer de l’envisager comme le lieu possible d’une affirmation de soi en tant que sujet libre et agissant (étant entendu que d’autres dimensions incarnées de nos vies nous en offrent la perspective).”
Pour aller plus loin :
- Camille Froidevaux Metterie sur France Inter : “La grossesse est un impensé”
- Le corps enceint : sortir des préjugés du patriarcat, avec Camille Froidevaux-Metterie, dans l’émission Zoom Zoom Zen sur France Inter
Avortée, une histoire intime de l’IVG, de Pauline Harmange
“Il m’a fallu avorter pour reconstruire un désir de maternité qui m’appartienne entièrement, et qui ne me laisse pas sur le carreau, passagère de moi-même, anesthésiée de mes propres élans de vie.”
En 2022, j’assistais, au Chicago café à Bruxelles, à une rencontre avec Pauline Harmange dans le cadre de la sortie de son dernier livre « Avortée ». Enceinte jusqu’aux yeux de son premier enfant, elle dévoilait ainsi le récit d’une IVG vécue plusieurs années auparavant. Une image forte, qui met en lumière la non-linéarité du désir d’enfant, et de la différence entre désir et projet.
Émouvant et fort, ce témoignage est celui de la nuance. Pauline dissèque son choix d’avorter, et les sentiments profondément ambigus qui ont suivi ce choix, entre tristesse, colère et soulagement.
Si l’IVG est discutée dans l’espace médiatique, c’est effectivement uniquement pour parler de sa légalisation ou au contraire de son interdiction. Il est peu question de vécu. Les milieux féministes et progressistes participent malgré eux à cette omerta : oser parler de vécu et de ressenti (potentiellement négatif) donnerait des arguments à celleux qui menacent ce droit. Torpillées entre deux extrêmes, l’on attend des femmes concernées qu’elles souffrent et regrettent amèrement leur décision, ou qu’au contraire elles en jouissent complètement. L’entre deux est rarement toléré, la complexité d’un tel évènement niée, et, comme pour tout ce qui touche à la maternité, il est prié de ne pas exprimer trop bruyamment ses difficultés et ses états d’âmes.
Ce récit est LA preuve que des choix perçus par la société comme intimes (voir honteux) s’imbriquent en réalité dans un contexte politique. La manière dont la société est organisée, et dont le collectif perçoit un choix, a un impact direct sur la manière dont ledit choix est personnellement vécu par celles (et ceux) qui les font.
C’est aussi un simple rappel, en 80 pages, (parce qu’il semblerait qu’il faille encore le rappeler), que les femmes sont des êtres humains et non pas des robots hyper binaires. Que les évènements qui nous touchent dans notre chair sont sources d’émotions complexes (que ces évènements soient prévus, choisis, ou non). On a le droit de : ne pas être sûre, de regretter, d’être triste, d’avoir mal, sans que ça ne remette en question notre droit à être des adultes qui disposent de leur corps et de leur vie.
“Je veux dire aussi qu’il doit y avoir, qu’on doit créer, des espaces où ce qu’on ressent d’ambigu, de négatif, de triste et collant, doit pouvoir être dit, reçu, dans la société et en dehors du secret. L’expérience de l’avortement est une preuve parmi tant d’autres que la solitude rend tout plus difficile. Le lien comme accélérateur des particules de sérénité.”
Il s’agit aussi d’une magnifique hymne à la liberté : la liberté de changer d’avis, de bifurquer, d’accepter que certains chemins mènent à des culs de sacs, que d’autres débouchent sur de nouvelles routes, que nos difficultés, nos choix (contraints ou non) nous façonnent, et qu’il est possible de rebondir et de se reconstruire avec (ou en dépit) d’eux. J’ai trouvé ces mots très déculpabilisants et réconfortants.
Un petit livre à la fois simple, efficace et complexe… et une piqure de rappel toujours nécessaire en 2024, quand le droit à l’IVG est encore régulièrement menacé ou restreint.
“(…) j’aspire à une société moins solitaire, dans laquelle accouchements, fausses couches, avortements, mais aussi maladies et morts, seraient gérés en collectif. Je n’ai plus peur de l’impudeur, au contraire — je voudrais qu’on soit plus libres de partager les peines autant que les joies, et que ce qui traverse nos corps ne soit plus alourdi du poids du secret.“
A lire aussi sur le blog :
Le temps du choix, de Bettina Zourli
J’ai le rêve pas si fou qu’une femme qui veut un enfant puisse l’accueillir dans des conditions dignes sans risque ni pour lui ni pour elle, et qu’une femme qui ne veut pas d’enfant puisse, d’une part, s’en rendre compte avant d’en avoir, et, d’autre part, vivre sa vie épanouie sans se voir sans cesse renvoyer à son incomplétude de femme non mère.
Bettina Zourli, diplômée d’un master en études de genre (terminé la même année que moi à l’UCL), tient le compte Instagram @jeneveuxpasdenfant. Comme le nom l’indique, elle est “childfree” (c’est-à-dire volontairement sans enfant… ce qui diffère de “childless”, qui peut signifier sans enfant par contrainte ou par impossibilité d’en avoir). Elle défend donc le droit à la non-parentalité, une situation encore mal acceptée et mal comprise dans notre société, en particulier quand on est une femme.
Le travail de Bettina est néanmoins transversal : il n’est pas question que des childfree mais de tout ce qui gravite autour d’elleux…. dont les parents et les enfants. Un angle intéressant et rafraichissant.
Dans ce livre, Bettina met le doigt sur les liens qui unissent les parents et les non-parents. Le premier étant : une impossibilité de faire un choix qui soit à la fois réfléchi, pensé, soutenu, et accepté dans sa complexité (quel que soit ce choix!). Alors que les personnes childfree sont vilipendées (pathologisées, accusées de participer à la l’extinction de l’humanité, voir au grand remplacement…), les parents se voient quant à eux chargés d’éduquer des enfants dans une société qui n’est en aucun cas organisée pour elleux. Les mères sont les premières victimes d’un système profondément “maternophobe“. En effet, avoir des enfants vient généralement avec tout son lot de difficultés et de risques pour les femmes : (petites et grandes) discriminations au travail, inégalités économiques et domestiques, violences (obstétricales, conjugales)…
Pour aller plus loin sur ces questions :
- Le temps des femmes : entre passé recomposé et futur imparfait
- Podcast : L’heure des éclaireuses, le temps des femmes
- L’argent et le couple, avec Titiou Lecoq
- Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ?
Dès lors, ne peut-on pas qualifier de malade une société qui met une telle pression aux femmes pour enfanter… pour finalement les violenter de la sorte ?
Dans cet essai très documenté, Bettina explore donc :
- les millénaires de non-choix, les femmes ayant été pendant des siècles assignées à la maternité (et infériorisées pour cela) ;
- Le (prétendu) temps du choix, avec le droit à la contraception et à l’IVG ;
- les pistes pour que le vrai temps du choix advienne enfin, permettant à tous.te.s de s’épanouir, peu importe la trajectoire qu’ielles choisissent.
Dans les pistes, il est question de réfléchir ensemble à de nouveaux modèles de parentalité. Il est aussi proposé de faire de la parentalité une préoccupation collective (en créant des espaces communs, des horaires de travail et de loisirs, et des soins adaptés aux enfants et aux parents).
Une autre proposition intéressante est de cesser de considérer le désir d’enfant et la parentalité comme quelque chose de naturel, immuable, non-discutable et allant de soi. Sortir de cette prétendue “naturalité totale” permettrait à la fois :
- de revaloriser et reconsidérer le travail domestique et de soin, à la fois des mères et des travailleuses du care, pour le considérer comme ce qu’il est : un travail, et non pas un don de soi instinctif et naturel. Par travail on entend : une activité qui nécessite du temps, des compétences, de l’organisation, de la formation… et qui mérite d’être rémunérée à sa juste valeur, respectée et placée au centre de la vie en société.
- de permettre à tous et toutes de faire des choix de vie épanouissant, en toute sérénité, qu’il s’agisse de faire des enfants ou de ne pas en faire, de faire famille de manière dite “classique” ou en créant de nouveaux modèles (qui existent déjà dans les cercles queer).
Sortir de cette “naturalité” implique de différencier désir d’enfant et projet d’enfant, et de construire ce projet comme n’importe quel autre projet nécéssitant une organisation, des compétences, du temps, un moment opportun, des besoins et des responsabilités.
Il me semble que nous gagnerions tous et toutes à séparer le désir d’enfant du projet d’enfant. (…) Faire l’exercice de construire son projet d’enfant permet de surcroît de prendre de la distance avec la naturalité de la parentalité, pour que nous puissions toutes et tous enfin entendre que devenir parent doit être un choix libre et un projet de vie construit en conscience et en amont, plutôt qu’une suite logique dans un moment de vie jugé opportun par la société.
Dans cet ouvrage, Bettina Zourli envoie valser une bonne fois pour toute l’image de la femme “childfree” détestant les enfants et méprisant les mères (entretenue soigneusement par les trolls masculinistes des réseaux sociaux). Son féminisme est cohérent et sans ambiguïté : impossible de se revendiquer féministe sans s’intéresser à la question de la maternité, ou sans se positionner radicalement du côté des enfants (les enfants étant la partie de la population la plus vulnérable et majoritairement victime des violences).
Ce livre n’est pas donc pas un pamphlet amer ayant pour vocation de décourager les femmes de devenir mères (contrairement à ce ce que le nom du compte de Bettina pourrait laisser croire aux esprits les plus courts). Au contraire, il s’agit plutôt d’un manifeste pour que les mères soient soutenues et valorisées dans leur travail de reproduction sociale.
Ce livre n’est pas non plus un ouvrage de développement personnel. Il ne s’agit pas, au terme du livre, de savoir si l’on veut personnellement des enfants ou non (si vous lisez ce livre pour répondre à vos propres hésitations, il ne vous aidera pas). Le sujet n’est pas tant le questionnement individuel du désir d’enfant qu’une véritable réflexion collective et politique sur le sujet (ce qui, à mon sens, est génial, car je pense qu’il existe suffisamment de livres de développement personnel sur le marché… et qu’il est plus que temps de faire entrer ces questions dans le débat public, à plus large échelle).
Un excellent moyen de réformer en profondeur notre système à bout de souffle est de remettre du collectif là où l’individualisme a pris trop de place. La parentalité peut devenir une expérience collective et solidaire.
En bref : ces quelques essais étaient passionnants, dans toute leur diversité et similarité. Ils montrent le continuum que peut être la vie (des femmes en particulier), faite de : rencontres, projets, renoncements, déceptions, réalisations, surprises, déconvenues… toutes ces étapes s’inscrivent dans les corps, et existent dans un système plus large qui nécessite d’être (re)pensé.
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