« Assis en rond, ils se regardent, et plongeant leur regard dans celui des autres, ils gonflent. Se voir dans le regard de leurs semblables, ça leur suffit. Je me dis que dans les faits, les hommes n’ont pas besoin d’un objet commun autour duquel faire communauté : l’objet commun, c’est eux ; ce qui les relie, c’est la figure même de l’Homme placée au centre. Un pour tous et tous pour un, à la défense du groupe qu’ils forment, cet ensemble qu’on appelle communément le boys club. »
« Ils sont tournés les uns vers les autres. Ils s’observent et s’écoutent. Ils s’échangent des idées, des armes, de l’argent ou des femmes. Dans cet univers clos réservé aux hommes, le pouvoir se relaie et se perpétue à la façon d’une chorégraphie mortifère. Le boys club n’est pas une institution du passé. Il est bien vivant, tentaculaire : État, Église, armée, université, fraternités, firmes… et la liste s’allonge. »
Continuer à dévoiler et à dénoncer
Martine Delvaux, essayiste et romancière québécoise, n’en est pas à son premier essai coup de poing. Ses œuvres sont nombreuses mais Le Boys Club, résonne particulièrement avec son essai publié en 2013, Les filles en série : des barbies aux pussyriot. Après s’être attaquée aux « […] filles en série qui créent l’illusion de la perfection. […] des filles-machines, filles-marchandises, filles-ornements », Martine Delvaux met l’entre-soi masculin sous les feux des projecteurs.
« Mais alors que les filles sont d’emblée réduites à leur apparence, à la figure esthétique qu’elles forment ensemble à des fins ornementales, mises en scène pour faire joli, l’uniformisation des boys a à voir avec la défense de quelque chose – une valeur suprême, une nation, un pays, une religion, une langue, dans tous les cas une forme ou une autre de pouvoir auquel ils veulent avoir accès, aux côtés d’autres comme eux. »
En passant par de nombreux exemples, culturels, politiques ou encore historiques, l’auteure dévoile les ramifications tentaculaires de l’entre-soi des hommes. Phénomène qu’elle dépeint comme régressif et urgent à déconstruire parce que nos vies comptent.
« Je veux dévoiler le boys club, en faire défiler les représentations de manière à le détacher d’une « tradition », d’une habitude, voire du culte qui lui est voué pour le révéler comme mécanisme de pouvoir. Je veux faire surgir le boys club comme ce qu’il est : une organisation des corps, une chorégraphie qui est un rouage du patriarcat, la mécanique qui permet à la domination masculine de s’actualiser chaque minute de chaque jour de notre vie. »
Le boys club est peut-être l’élément qui nous manquait. L’engrenage qui nous permet de comprendre l’installation pérenne du patriarcat. Maintenant que Martine Delvaux l’a décomposé sous nos yeux, la dangereuse perpétuité de la domination masculine apparaît, bien plus limpide. Tout à coup, cet entre-soi masculin, qu’autrefois nous ne percevions pas, se montre dans nos films, nos séries et nos livres préférés. Et la question que vous vous êtes peut-être posée: Pourquoi les choses ne changent pas ? (mais aussi, pourquoi Trump est-il président des États-Unis ?), trouve enfin une réponse.
La montée de la colère
Pas complètement inculte ou désinformée, c’est tout de même un peu naïvement que j’ai commencé cette lecture (sur les très bons conseils interposés de la libraire de Tulitu dans le centre-ville de Bruxelles, merci à elle !). Je me suis sentie de plus en plus petite et insignifiante. A mesure que je découvrais les nombreuses représentations de ces boys club, disséminées autour de moi, de nous, je tapais le livre sur mes genoux : mais c’est pas possible !? Que ce soit les sphères politiques, culturelles, pédagogiques, sportives, familiales, amicales, rien n’y échappe. Les boys clubs sont partout et leurs représentations aussi. Comment j’avais pu passer à côté ?
Après un premier sentiment d’abattement (si c’est comme ça, on est vraiment foutus), l’espoir m’a regagné. Après tout, commencer à percevoir la présence insidieuse et le fonctionnement de ces boys clubs n’est que le premier pas pour parvenir à les déconstruire, les profaner et à les refuser. Martine Delvaux nous a magistralement prémâché le travail, maintenant c’est à nous. C’est à nous d’ouvrir les yeux, de repérer et de dénoncer. Surtout, ne pas se taire, surtout ne pas laisser faire.
Lisez cet essai et laissez monter la colère.
« Sous la docilité, la menace. Sous l’apparente quiétude, un frémissement inquiétant. »
Jeanne – mai 2020
N.B. : Patience toutefois si vous souhaitez vous procurer cet essai, sa sortie chez nous n’est prévue que fin mai 🙂
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Articles :
The Problem with Frats Isn’t Just Rape. It’s Power, de Jessica Bennett
What Donald Trump thinks it takes to be a man, de Jill Filipovic
The men powerful enough to wear the same thing every day, de Alex Hawgood
The Year of the Old Boys, de Lili Loofbourow
Documentaires :
The Invisible War, de Kirby Dick (2012)
The Hunting Ground, de Kirby Dick (2015)