Vivian Maier, photographe dans l’ombre
Début novembre 2020. Un nouveau confinement est annoncé. Une sensation très désagréable de déjà-vu, déjà-vécu. L’impression de faire un bon de 7 mois en arrière, comme si rien n’avait été préparé. Comme si c’était une surprise (or, qui est vraiment surpris ?).
Alors on se console, en lisant. Et on fait de belles découvertes artistiques qui nous font tenir le coup, qui nous rappellent que dans ce monde malade, peuvent émerger des merveilles.
En discutant avec ma maman, amatrice d’art (et elle-même artiste), j’ai découvert la photographe Vivian Maier, dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. Et pour cause : Vivian Maier était une photographe de rue de talent, n’ayant pourtant jamais obtenu de reconnaissance de son vivant. Son travail est aujourd’hui rendu public grâce à un homme, John Maloof, ayant acheté des centaines de clichés par hasard lors d’une vente aux enchères.
L’œuvre de Vivian Maier est puissante, poétique, et sa maîtrise de la photo est parfaite. Si ses clichés me plaisent beaucoup, c’est aussi son histoire et le traitement qui est fait de son œuvre qui m’intrigue et me pose question.
Vivian Maier et ses blessures d’enfance
Vivian Maier est née le 1er février 1926 à New York, d’une mère française, Maria, et d’un père austro-hongrois, Charles. Ses parents se rencontrent à New York, tous deux ayant récemment immigré aux Etats-Unis.
Un an après leur mariage, en 1920, naît leur premier enfant, le frère de Vivian. Vivian et son frère feront leurs premiers pas dans un appartement de Manhattan, sur la 56ème rue. L’ambiance familiale devient vite pesante : les parents se déchirent, et très vite, le couple se sépare.
Après la séparation, Charles, le frère de Vivian, est confié à ses grands-parents paternels. Vivian, quant à elle, reste avec sa mère, qui est hébergée, pendant un temps, par Jeanne Bertrand, également originaire des Hautes Alples, comme Maria. Jeanne Bertrand est elle-même une artiste, photographe et sculptrice. Il se pourrait que ce soit elle qui ait initié Vivian à la photographie.
L’histoire de la famille Maier est une histoire trouble et douloureuse. Ballotée entre la France et l’Amérique, Vivian est la malheureuse victime de l’inconsistance de ses parents. Entre une mère fragile, fauchée, instable, et un père violent ou absent, Vivian se construit tant bien que mal, contrainte de trouver d’autres accroches. Changements de noms, mensonges, cachotteries, zones de flou : nous avons face à nous une galerie de personnages insondables. Le mystère ne cesse de planer sur cette famille étrange, qui a laissé peu de traces. Les grandes lignes de cette histoire laissent deviner des relations dures, dysfonctionnelles, et un quotidien pénible et austère.
Photographe puis nourrice, ou nourrice puis photographe ?
Après la Seconde Guerre mondiale, Vivian Maier, dans la vingtaine, passe quelques années en France, pour vendre aux enchères la maison de sa grand-tante, qui lui a été léguée. Elle retourne ensuite à New York, où elle commence à travailler comme nounou. En 1956, à 30 ans, elle déménage à Chicago, et est engagée par Nancy et Avron Gensburg pour s’occuper de leurs trois garçons : John, Lane et Matthew. Chez les Gensburg, elle dispose d’une grande chambre ainsi que d’une salle de bain privée, dans laquelle elle développe ses négatifs.
Personnalité ambivalente, Vivian est une Mary Poppins pour certains, une impolie pour d’autres. Les Gensburg l’aiment beaucoup, mais la disent un peu négligente : elle n’a pas beaucoup d’intérêt ni pour le ménage ni pour le maternage (pour peu que l’on puisse développer un « intérêt » pour le ménage !). D’autres familles l’ayant engagée la décrivent comme bourrue, étrange, maladroite, parfois violente. Vivian change de famille sans larmes, sans effusions. Elle emballe ses cartons, ses films, ses coupures de presse, ses bouquins, et déménage sans grande émotion.
Ce métier de nanny est une manière pour elle de s’assurer des revenus tout en arpentant les rues de Chicago, emmenant les enfants dans son périple : au gré de ses balades et des rencontres, elle dégaine son appareil photo et immortalise des scènes du quotidien. Tous ses moments de liberté sont consacrés à son art. Elle laissera derrière elle plus de 150 000 photos, représentant principalement des visages, mais aussi des bâtiments. Toutes ses prises dénotent une maîtrise exceptionnelle de l’appareil : le cadrage, la lumière, le regard… Maier compose la fresque d’une époque, d’une ville, d’une culture.
Des regards, des moments et des clichés dérobés
Maier peut être considérée comme une photographe compulsive (dans ses dernières années de vie, on la dira atteinte du syndrome de Diogène). Elle capte le regard des laissés pour compte, des vieux (et surtout des vieilles), des pauvres, des travailleurs éreintés, des enfants malicieux. Ses photos les plus convaincantes sont celles où elle est surprise par son sujet.En regardant ses œuvres, c’est le Chicago des années 60 qui s’anime sous nos yeux.
C’est aussi le portrait d’une Amérique impitoyable, avec son lot d’injustices. Cette Amérique impitoyable, Vivian en a fait les frais, de l’enfance à la vieillesse. Elle fait d’ailleurs partie de la foule de personnages qu’elle immortalise : on perçoit son ombre ou son reflet dans des miroirs, des fenêtres, des flaques d’eau. Elle s’imbrique elle-même dans la grande fresque sociale qu’elle illustre par ses clichés. Son destin sera aussi triste que celui des personnages dont elle vole le regard : Vivian finira sa vie dans la pauvreté et dans une certaine solitude, loin de ses caisses de films qu’elle ne développera jamais.
Fin 2007, Vivian Maier est hospitalisée et ne peut plus payer la location du box où elle entreposait ses biens. Ses caisses sont mises aux enchères, et c’est John Maloof, un jeune agent immobilier de 25 ans, qui achète pour 400 dollars un lot de 30 000 négatifs. Très vite, au gré de ses partages sur les réseaux sociaux, Maloof réalise très vite qu’il a mis la main sur un trésor inestimable. Il ne découvrira l’identité de l’artiste qu’après son décès. Depuis 2007, il se consacre à protéger et à diffuser l’œuvre de Maier.
L’œuvre de Maier telle qu’on peut la découvrir aujourd’hui a donc été traitée selon l’appréciation de Maloof : il est important d’être conscient que ce travail éditorial a été effectué par un homme, ayant un regard extérieur, et non pas par son autrice. La sélection n’est pas neutre (aucun travail éditorial ne l’est). Il n’est pas question ici de fustiger le travail de Maloof, qui a rendu un bel hommage à l’artiste, mais d’admettre que le regard de Maier manque terriblement à cette reconstitution : ses œuvres brassent tant de thématiques, couvrent un champ tellement large, qu’on peut se demander ce qu’elle aurait elle-même sélectionné. Il manque clairement un chiffre pour résoudre l’équation : ce chiffre, c’est le regard de la photographe sur son propre travail.
Le livre de Gaëlle Josse, « Une femme à contre-jour »
Dans son livre « Une femme à contre-jour », Gaëlle Josse raconte Vivian Maier. Elle nous dépeint sa vie de famille, son enfance difficile, sa relation ambivalente avec sa mère, son lien inexistant avec son frère et son père. Le portrait qu’elle dresse de cette famille est touchant. On ressent beaucoup de compassion, et un peu de malaise aussi.
Entre le roman et l’essai, ce livre tente de saisir l’insaisissable. C’est un travail compliqué, et ça se sent : Gaëlle Josse ne sait manifestement pas sur quel pied danser, elle oscille entre les descriptions romancées et les informations très factuelles. Le mystère est trop grand pour dresser un portrait complet. Cependant, au bout de 160 pages, on peut imaginer qui était Vivian. On prend conscience que son histoire est difficile.
J’ai lu ce petit livre en quelques heures, et je l’ai beaucoup apprécié. Je regrette cependant que Gaëlle Josse se penche exclusivement sur la « psyché » de Vivian Maier, dont l’œuvre est pourtant lourde et engagée. Le regard de Maier est infailliblement politique. Tristement, « Une femme à contre-jour » nous parle surtout de ses déboires familiaux, des maltraitances que lui a fait subir sa mère (Maria, la grande coupable de cette histoire). Si j’apprécie les portraits de famille, et que celui-ci est plutôt bouleversant, j’aime aussi quand les choses sont replacées dans leur contexte, ce que Gaëlle Josse fait trop peu à mon goût.
Certes, l’autrice parle du regard droit de Vivian Maier, de sa fierté, de sa condition de laissée pour compte. Elle la compare à d’autres artistes oubliés et marginaux : Camille Claudel, Séraphine… Mais n’entre jamais dans une analyse sociologique plus profonde. Pourquoi Vivian Maier, et ses semblables (les exclus), n’ont-ils jamais été considérés ?
« Une grande fierté. Celle des vaincus. Ce qui reste quand on a tout perdu. Le regard droit. La nuque raide. Ne rien demander, ne rien attendre. S’épargner le refus, le rejet. S’épargner les attentes inutiles ? Les espoirs. Les humiliations. Le regard faussement navré. Désolés madame, mais nous ne sommes pas intéressés… Ailleurs, peut-être… Mais où travaillez-vous, déjà ? Ah, je vois. À quoi bon s’infliger de nouvelles souffrances, de nouvelles déceptions ? Le fleuve de la vie passe ailleurs. Elle le sait. Ainsi va le monde. Il ne va pas tourner dans l’autre sens rien que pour elle. Elle a vécu. Elle a couru le monde. Elle sait comment il va. Elle sait que, pour elle, partie est déjà perdue. Qu’elle n’a pas les bonnes cartes. Qu’il n’y aura pas de grand soir. »
Si Vivian Maier n’a pas eu son grand soir, si elle a reçu si peu de reconnaissance de son vivant, ce n’est pas uniquement parce qu’elle était mal entourée. Ce n’est pas de la malchance, ce n’est pas qu’une histoire triste, qu’un destin tragique. Ce manque de considération est plus profond, bien plus grand que Maier et sa famille dysfonctionnelle : ce mépris est structurel. Si elle a été invisibilité de la sorte, c’est (plus que probablement) parce qu’elle était pauvre, et qu’elle était une femme.
Un sentiment d’injustice
En regardant les œuvres de Vivian Maier, on ne peut s’empêcher d’être ému. Impossible de ne pas l’aimer en lisant son histoire et en découvrant son œuvre : Maier est fascinante. Ses photographies, son expression insondable, la sincérité qui transparaissent, loin de tout désir de paraître ou de séduire. Ses clichés sont bruts et sans équivoque.
Après l’émerveillement, la deuxième émotion que m’a suscitée l’histoire de cette femme est la colère. Et un grand sentiment d’injustice. Un sentiment légitime et naturel quand on voit tout le travail effectué, et le peu de fruits qu’en a retiré son autrice de son vivant.
Vivian Maier serait-elle restée une nounou si elle avait pu obtenir plus de reconnaissance pour son art, en temps voulu ? Aurait-elle eu plus de temps (et d’opportunités) pour promouvoir son travail, si elle avait eu accès à un emploi plus valorisé et plus rémunérateur ? Aurait-elle été prise plus au sérieux si elle avait été un homme ?
Certes, il y a quelque chose de romantique à imaginer une artiste qui crée « pour trouver un ancrage dans le monde », une âme créatrice modeste et discrète, produisant de l’art pour « l’amour de la photo », sans aucun désir de reconnaissance ou de rétribution. Le mythe de l’artiste « maudite », dont les œuvres « sortent des tripes », sans calculs ni attentes, force l’admiration. Après tout, quoi de plus pur ?
En finir avec le mythe de l’artiste maudit
Le mythe de l’artiste maudit prend ses racines au XIXème siècle, à l’époque culminante du romantisme. Les histoires tragiques de poètes, musiciens, peintres ou sculpteurs incompris et malheureux fascinent : Claudel, Van Gogh, Gauguin, Modigliani…
Né quelques dizaines d’années après la période romantique, Vivian Maier correspond en tous points au mythe de « l’artiste maudite » : miséreuse depuis l’enfance, surmontant de nombreux échecs, s’enfonçant dans la dépression et s’éteignant dans la folie. Anticonformiste et provocante, on peut imaginer qu’elle refusait, d’une certaine manière, les contraintes sociales de son temps (on ne lui connait ni mari, ni enfant).
Ce mythe a encore beaucoup d’influence sur notre manière de percevoir les artistes aujourd’hui : il n’est en effet pas rare d’associer génie, souffrance et folie. Les images fantasmatiques qu’on se fait de l’Artiste (avec un grand A) sont très ambivalentes : l’artiste sera soit une superstar richissime, soit un ou une marginal⸱e rejetant radicalement le système capitaliste (et l’argent qui va avec : car l’argent corrompt et rend l’œuvre impure).
Dans l’imaginaire populaire, être artiste, c’est être libre : libre de l’argent, des conventions sociales, libre des normes contraignantes. C’est également être en dehors du « système économique » classique, car l’activité artistique ne rentre généralement pas dans les cases (l’idée qu’il ne s’agit pas de « vrais métiers », mais de « passions » est encore très présente aujourd’hui).
Ces images préconçues et ces fantasmes ont des conséquences néfastes sur les artistes, qui sont privés d’un véritable « statut » et de la considération qui va avec. Terrassés par ces injonctions, ils peinent à trouver un véritable ancrage matériel dans le monde.
C’est une question philosophique qui se pose ici : qu’est-ce que l’art ? Je suis personnellement plutôt en accord avec l’idée répandue qu’une création ayant comme seul objectif d’être vendue mériterait le nom de produit plutôt que d’œuvre (le débat est ouvert). Créer est avant tout un acte désintéressé.
Cette perception de l’art est néanmoins utilisée pour justifier le statut souvent précaire des artistes. Elle légitime l’idée selon laquelle les artistes seraient une sous-catégorie de travailleurs (pour autant qu’ils soient considérés comme des travailleurs). Ce mythe entretient l’idée que l’art est une activité bénévole et que l’argent est secondaire, selon le célèbre adage « quand on aime, on ne compte pas ! » (cet adage pourrait faire l’objet d’un article à lui seul).
La crise du COVID-19 a encore exacerbé cette perception des choses : alors que le secteur culturel belge se noie suite aux nombreuses annulations et fermetures, les communications maladroites du gouvernement se multiplient, réduisant l’activité artistique à un besoin narcissique individuel.
« Je sais que ces mesures concernant les allocations de chômage des artistes sont une maigre consolation quand on est artiste et qu’on a envie, et surtout qu’on a besoin, de s’exprimer publiquement. J’espère qu’ils pourront trouver d’autres moyens de le faire, pour passer comme les autres, à leur manière, cette crise sans trop d’encombres » (Sophie Wilmès, ancienne Première Ministre belge, lors de la séance plénière de la Chambre le 16 avril 2020).
Cette réflexion, certainement bien intentionnée, illustre à elle seule le peu de considération dont bénéficient les artistes dans la société, et cela, depuis bien avant la crise sanitaire. Bien entendu, les artistes sont tristes de voir la culture s’éteindre. Assurément, ils sont désolés de ne plus pouvoir s’exprimer et partager. Mais bien au-delà de ça, la plupart d’entre eux ont des préoccupations plus matérielles (et certes, moins romantiques) : ils ont peur de ne pas pouvoir payer leur loyer et de ne pas pouvoir acheter à manger.
Si l’art était considéré comme autre chose qu’un passe-temps, qu’une « passion », qu’un « besoin viscéral », peut-être le statut d’artiste serait-il plus qu’un statut précaire. Si la culture et l’art étaient considérés pour ce qu’ils sont vraiment (un moteur de cohésion sociale, une mise en récit de l’existence, un secteur qui fait tourner l’économie), les artistes passionnés pourraient profiter d’une vie matérielle décente, sécurisante. Ils pourraient promouvoir, peaufiner, parfaire leur art, parce qu’ils n’auraient plus ce couteau sous la gorge (le couteau de la note d’eau -entre autres- à la fin du mois). Peut-être y aurait-il moins « d’artistes maudits », d’occasions loupées, de destins manqués.
Femme et artiste, la double malédiction
Si les artistes maudits de l’histoire sont aussi des hommes (la plupart du temps des hommes pauvres), nombreuses sont les femmes n’accédant même pas à ce qualificatif post-mortem. Elles ne seront commémorées ni avant ni après leur mort. Elles resteront invisibles, et leurs productions, qu’elles soient incroyables ou médiocres, moisiront dans leurs cartons. Toutes n’auront pas « la chance » d’être découvertes par un jeune collectionneur friand d’antiquités.
Vous allez me dire que mon esprit tordu doit toujours tout analyser sous le prisme du genre. Peut-être avez-vous raison… Pourtant, il me semble difficile de nier cette réalité : les femmes artistes ont souvent été invisibilisées, que ce soit dans le passé ou le présent. C’est un fait, je n’invente rien :
- Une étude publiée dans la revue en ligne PLOS One en mars 2019 recense que les hommes représentent 87% des artistes exposés dans dix-huit grands musées des USA.
- Au Prado à Madrid, seulement 9 œuvres sont signées par des femmes, parmi les plus de 1700 peintures faisant partie de la collection permanente.
- En France, le Louvre ne compte qu’une trentaine de peintures de femmes artistes dans ses collections, et au musée d’Orsay, on compte un peu moins de 7% d’artistes femmes.
- Dans les écoles d’art, les femmes représentent plus de 60% des effectifs, un chiffre qui chute à 30%, voire 10% dans les expositions.
- 20% des artistes qui vivent leur art sont des femmes. Parmi les 500 artistes les mieux cotés au monde, il n’y a que 19 femmes. D’après le rapport sur le marché de l’art d’Art Basel et d’UBS, seules 8 œuvres signées par des femmes se sont vendues à plus d’un million.
Ces statistiques sont actuelles. On peut donc imaginer que dans les années 50 et 60, la situation n’était pas beaucoup plus réjouissante… Dès lors, il me semble compliqué d’imaginer que l’invisibilisation de Vivian Maier ne soit pas liée au fait qu’elle était une femme.
Les femmes photographes
Mais peut-être la photographie échappe-t-elle à cet ostracisme. Après tout, me diriez-vous, nombreuses sont les femmes photographes reconnues et admirées, même à l’époque ! C’est le cas de Jeanne Bertrand, l’amie de Vivian Maier, qui a été reconnue et vantée de son vivant dans le Boston Globe, le grand journal de Boston. C’est aussi le cas de la très célèbre Diane Arbus, connue pour ses portraits de rue (probablement l’une des inspirations de Maier). Citons également Lee Miller, maitresse et muse de Man Ray (une partie des images signées Man Ray est d’ailleurs l’œuvre de Miller), et correspondante de guerre au sein de l’armée américaine. On peut également parler de Dorothea Lange, ou de Berenice Abbot.
De grands noms, me diriez-vous. Et une vraie reconnaissance.
Les femmes ont en effet été largement impliquées dans la photographie, et cela depuis son invention : Constance Talbot, épouse d’Henry Talbot, a elle-même expérimenté ce nouveau processus. Les premières femmes photographes se font connaître dans les années 1800 : en Suisse, Franziska Möllinger (1817-1880) commence à créer des daguerréotypes de paysages suisses vers 1842, dont elle publie des copies lithographiques en 1844. Près de vingt ans plus tard, la Suissesse Alwina Gossauer (1841-1926) devient l’une des premières femmes photographes professionnelles. En France, en Allemagne, au Danemark, elles sont nombreuses à émerger et à disposer d’une certaine reconnaissance : on parle par exemple de Thora Hallager, de Geneviève Elisabeth Disdéri, de Sarah Louise Judd. Les premiers studios de photographie documentés et exploités par des femmes ont été ouverts dans les années 1860.
Les années folles favorisent également l’augmentation du nombre de femmes photographes, qui sont parfois publiées et font l’objet d’articles dans la presse. Elles restent cependant exclues des organisations officielles de photographes.
Les femmes se sont donc approprié ce média. Pour autant, un déséquilibre persiste et les lieux de la photographie demeurent des espaces masculins :
L’association Les filles de la Photo a créé « L’observatoire de la Mixité » afin de quantifier les inégalités hommes/femmes dans le domaine photographique. Un rapport paru le 5 février 2020 démontre que les femmes sont plus nombreuses dans le monde périphérique de la photographie (60% des employés sont des femmes). Par contre, elles sont minoritaires dans le métier de photographe lui-même (37%). Leur travail est également moins mis en valeur, bien qu’elles soient souvent plus diplômées : elles se voient moins souvent attribuer des bourses ou des prix, et sont rarement exposées dans des lieux porteurs comme les musées, les festivals… Leurs œuvres seront plus souvent présentées dans des espaces privés (cabinets de médecin, bars…). Elles sont moins nombreuses à vivre de leur activité (66% des femmes contre 87% des hommes) et, par conséquent, sont deux fois plus nombreuses à être précaires que les hommes (44% des femmes et 21% des hommes ont des revenus de 15 000euros ou moins par an).
La photographie n’échappe donc pas aux tendances générales que l’on retrouve dans le monde du travail.
Rééquilibrer et rendre visible
L’œuvre de Vivian Maier est exceptionnelle, et son histoire fascinante, c’est vrai. Il faut parler d’elle. Il faut lui accorder l’attention qu’elle mérite.
Mais si nous accordions également notre attention aux photographes vivantes ? Celles qui tentent (péniblement) de se faire entendre, aujourd’hui en 2020 ?
Mettons fin à cette invisibilisation. Cassons cette chaine d’artistes maudites. Rendons leur hommage de leur vivant.
Quelques photographes contemporaines à découvrir :
- Charlotte Abramov, qui a, entre autres, réalisé les merveilleux clips de la chanteuse Angèle
- Laurence Geai, lauréate du festival « Les femmes s’exposent », qui a réalisé un reportage sur les prisonniers de Daesh dans le Kurdistan syrien.
- La photographe Delphine Blast s’est intéressée aux grands oubliés de la crise du COVID-19 : les habitants des EPHAD.
- La photographe Noortje Palmers, avec le graphiste Jasper Decklercq, a lancé le compte instagram @taboob, mettant en scène plus de 75 seins et testant les limites de la censure sur instagram.
Un peu de lecture…
- Sur le marché de l’art, les femmes peinent, encore, à émerger – TV5
- Le site de Vivian Maier : www.vivianmaier.com
- Les femmes restent sous-représentées dans les musées – Slate
- Carte blanche : “Madame Wimès, pour le secteur culturel, cette crise est déjà une catastrophe” – Le Soir
- Qui a peur des femmes photographes – France Culture