“Je n’ai retrouvé la colère que bien plus tard, en devenant féministe. J’ai découvert que, souvent, ce qui me faisait pleurer aurait dû me faire crier, et que lorsque je pleurais de tristesse face à une injustice dans un conflit, je me résignais à perdre, en quelque sorte.”
En ce 11 novembre morose, j’en ai profité pour lire « Moi les hommes, je les déteste », de Pauline Harmange. Un petit livre court, efficace, englouti et digéré en une petite heure.
C’est Bettina, du compte @jeneveuxpasdenfant, qui m’a prêté ce livre, après avoir créé un groupe sur Facebook pour partager des livres sur Bruxelles (je tiens à la remercier pour cette super initiative !).
J’ai hésité à écrire une chronique à ce sujet. Parce que j’avais l’impression que tout avait déjà été dit. J’ai aussi hésité par peur de déplaire à une partie de notre lectorat, à cause du titre (on reparlera de la peur de déplaire plus bas). Puis je me suis dit que j’avais envie de soutenir cette autrice, qui doit faire face à beaucoup de résistances, et même à du harcèlement suite au succès de son livre.
4ème de couverture
« Je vois dans la misandrie une porte de sortie. Une manière d’exister en dehors du passage clouté, une manière de dire non à chaque respiration. Détester les hommes, en tant que groupe social et souvent en tant qu’individus aussi, m’apporte beaucoup de joie – et pas seulement parce que je suis une vieille sorcière folle à chats .
Si on devenait toutes misandres, on pourrait former une grande et belle sarabande. On se rendrait compte (et ce serait peut-être un peu douloureux au début), qu’on n’a pas vraiment besoin des hommes. On pourrait, je crois, libérer un pouvoir insoupçonné : celui, en planant très au-dessus du regard des hommes et des exigences masculines, de nous révéler à nous-mêmes.”
Contexte
Pour ceux qui seraient passés à côté de la sortie de ce petit ouvrage qui a provoqué un véritablement soulèvement sur les réseaux, je recontextualise rapidement : « Moi les hommes, je les déteste » est paru le 19 août 2020 aux éditions Monstograph, une toute petite maison d’édition associative créée par Martin Page et Coline Pierré. Initialement, Monstograph avait prévu de sortir 450 exemplaires.
Par la suite, le 31 août, un chargé de mission du ministère de l’Egalité entre les femmes et les hommes (ô l’ironie) a eu l’idée brillante de menacer Monstograph de poursuites pénales (le monsieur considérant ce livre comme un appel à la haine en raison du sexe).
Suite à cette supposition idiote (faut-il vraiment n’avoir lu que le titre pour affirmer une telle chose), les réseaux sociaux se sont littéralement embrasés, attirant l’attention sur ce petit livre et le rendant instantanément célèbre (comme quoi, la stupidité des uns fait parfois le bonheur des autres).
Monstograph a imprimé 500, puis 1800 exemplaires supplémentaires. Les Editions le Seuil ont racheté le livre pour le publier à partir d’octobre 2020. Les maisons d’édition américaines et anglaises ont déjà fait des offres pour traduire et publier l’essai.
Mon avis
Que dire sur livre qui n’a pas déjà été dit et redit ?
Je commencerai cette chronique en disant que ce livre ne m’a rien appris de nouveau, mais qu’il m’a procuré beaucoup d’émotions. Il a fait écho à de nombreuses situations que j’ai vécues et a mis les bons mots sur mes ressentis (du coup, dans cette chronique, il y aura un peu de blabla sur ma vie, oups).
La première émotion, c’était la gêne. À cause de son titre. J’étais un peu mal à l’aise de laisser le livre trainer sur ma table de salon, à vue d’œil de mes (rares) visiteurs (confinement oblige). Mal à l’aise… et en même temps un peu fébrile : il y a quelque chose d’excitant à voir trôner, là, dans mon salon « Moi les hommes, je les déteste ». Il est rare de voir la place prépondérante des hommes remise en question de manière aussi visible, en grosses lettres jaunes sur un fond mauve, dans les séjours, les bibliothèques, les salles à manger des gens.
Ensuite, j’ai lu les premières pages, et je m’en suis voulu de ressentir cette gêne. Même, si comme le dit Pauline, ce besoin de s’excuser et de se justifier est très commun chez les personnes s’initiant aux féminisme. Quiconque qui se lance dans un travail de déconstruction sait à quel point il est compliqué de défendre ses convictions dans l’espace public et dans la vie quotidienne. Il est difficile de ne serait-ce qu’aborder le sujet, sans être rapidement taxée de bobo-gauchiste-obsédé-par-la-fausse-théorie-du-genre-non,-mais-tu-exagères.
Dès les premiers paragraphes du livre, j’ai été confrontée à mes propres manies : l’impression de devoir toujours m’excuser, me justifier, d’être contrainte d’arrondir les angles, de rassurer, de caresser dans le sens du poil… Malgré le « pèlerinage » de lectures et réflexions que j’ai accompli ces dernières années, il est vrai que j’ai toujours cette impression d’être « trop ». « Trop » dans mes propos, mes idées, mes envies. Du coup, j’ai envie de me faire (encore plus) petite. Et de cacher le livre «Moi les hommes je les déteste » sous une pile de magazines. Que de mauvais réflexes. Que de sentiments envahissants et destructeurs. Mon travail de déconstruction sera encore long.
La seconde émotion que m’a fait ressentir ce livre est le soulagement. Oui, le travail de déconstruction sera encore long. Oui, je vais probablement encore m’excuser, encore me justifier, encore rétrécir pour laisser la place. Après tout, cela fait partie de ma personnalité, et de mes défauts ; il semblerait aussi que ce trait de caractère soit plutôt typiquement féminin. On ne se débarrasse pas si facilement des mauvaises habitudes. Mais je ne suis pas toute seule, je ne suis pas illégitime, je mérite ma place. Voilà ce que Pauline dit dans son livre : il faut se recentrer, ensemble, s’estimer, ensemble, s’écouter, ensemble, et s’approprier l’espace et les moments de parole auxquels nous avons droit, nous, les femmes.
Un passage qui m’a particulièrement marqué est celui où Pauline parle de son enfance, et dit avoir été une petite fille calme et gentille. Elle raconte s’être un jour fait gifler par une autre fille dans la cour de l’école. Elle constate que jamais, au grand jamais, il ne lui serait venu à l’idée de rendre le coup.
Cette situation, je l’ai moi-même vécue. Lire cela m’a, à nouveau, mise face à l’un de mes propres travers : cette peur panique que j’ai de déplaire (à nouveau : une peur typiquement féminine). L’idée que quelqu’un puisse ne pas m’apprécier me blesse et me tracasse beaucoup. Après avoir lu cet essai, j’ai été obligée d’admettre que cette mauvaise habitude de vouloir être à tout prix agréable m’avait souvent coûté ma dignité, mais aussi ma sécurité : cela m’a empêché de me défendre comme j’aurai dû (et pu) le faire.
Plus je vieillis, plus je remarque que mes efforts titanesques pour paraître plaisante et aimable à tout prix font de moins en moins d’effet. Je ne renvoie manifestement plus une image aussi pétillante et douce de moi-même que ce que j’imagine. Quand j’y pense, cela me contrarie un peu. Et puis, après avoir lu cet essai, je me dis : au final, tant mieux ? Peut-être que cela signifie simplement que je suis en train de prendre des forces. Que je suis prête à me défendre.
Je ne terminerai pas cette chronique par un paragraphe expliquant en long et en large pourquoi, non, ce livre n’est pas un appel à la haine (désolée à ceux qui attendaient cet argumentaire pour donner sa chance à ce livre). Ce serait encore parler des hommes, leur expliquer, que non, promis, ce n’est pas à PROPOS d’eux. Ce serait perdre du temps (ceux qui doutent n’ont qu’à lire l’essai). Et surtout, ce serait contraire à la morale de ce pamphlet, qui nous invite justement à bouger le curseur, à décentrer l’attention.
Je terminerai plutôt en remerciant Pauline, car ce livre très court, mais très percutant m’a permis de me redresser un peu plus.
Peut-être m’a-t-il autant séduite, car je suis, comme elle, une femme, blanche, sans enfants, dans la même tranche d’âge, en couple avec un homme (je vous dirais bien que j’aime énormément cet homme, mais ça serait encore me justifier… arrêtons-nous là et prenons directement de meilleures habitudes). Je me suis reconnue dans la plupart des situations dont elle parle dans son essai. Un autre pamphlet correspondra peut-être mieux aux personnes ne se retrouvant pas dans ce schéma.
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